« En groupe de parole, je vois les visages s’apaiser »

Pour Rebecca, victime d’inceste, animer des groupes de parole transforme son traumatisme en expérience positive.

• 15 mai 2024
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« En groupe de parole, je vois les visages s’apaiser »
© Hannah Busing / Unsplash

Elle a parlé à sa famille, elle a parlé à un psychologue, elle a parlé à l’hôpital, elle a parlé à la police, elle a parlé à son avocate, elle a parlé à ses amis. Mais quand Rebecca a-t-elle été entendue quand elle dénonçait l’inceste qu’elle a subi ? Essentiellement par un groupe de parole. Organisées par l’association En parler, ces sessions donnent de l’air à Rebecca. À tel point qu’elle finit par en devenir coanimatrice. 


L’inceste de la part de mon beau-père a commencé quand j’avais 6 ans et demi et il a duré jusqu’à mon départ de la maison familiale, à 23 ans. J’ai parlé à deux reprises le même été, lorsque j’avais 13 ans. La première adulte de confiance, sur mon lieu de vacances, m’a dit que je ne devais pas le laisser continuer, et que je devais en parler à ma mère. Après cette injonction teintée de culpabilisation, j’ai fini par trouver le courage d’en parler à celle-ci quelques semaines plus tard. Ses mots ont été cinglants : « Tu ne peux pas me faire ça. Arrête de raconter des histoires. De toute façon, tu n’es qu’une menteuse. »

Après ça, le noir complet. Dissociation totale. Amnésie traumatique. J’avais 31 ans lorsque la mémoire m’est revenue, partiellement. J’ai commencé à consulter un premier psy à 20 ans parce que j’avais trop de pensées suicidaires. Mais ce n’est qu’après avoir rompu tout lien avec ma mère et mon beau-père à l’annonce de leur mariage, lorsque j’avais 31 ans, que la mémoire m’est revenue par bribes. D’abord des agressions sexuelles, puis des viols. J’avais déjà fait dix ans de thérapie et consulté trois psys.

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Après une tentative de suicide et une hospitalisation de huit semaines en psychiatrie, j’ai été convaincue par l’équipe soignante de porter plainte et de trouver un groupe de parole pour me sentir moins seule, sans savoir vers quelle association me diriger. J’ai dû me débrouiller seule. Après plusieurs refus ou tentatives infructueuses auprès d’associations renommées, c’est en cherchant une énième fois sur Internet que j’ai trouvé l’association En parler. Elle me semblait sérieuse et proposait des groupes entre pair·es adultes victimes de violences sexuelles.

Parler à mes proches de ce que j’ai subi n’a pas été suffisant pour me reconstruire.

Parler à mes proches de ce que j’ai subi n’a pas été suffisant pour me reconstruire. Nous, victimes, avons face à nous des personnes qui, même lorsqu’elles sont bienveillantes, ne comprennent pas ce que nous vivons, en qui notre parole ne résonne pas, et qui souhaitent que l’on tourne la page, que l’on oublie. L’injonction à porter plainte est souvent la seule réponse que l’on reçoit. Mais porter plainte est une violence supplémentaire, et toutes les victimes ne le souhaitent pas, car la réparation ne vient pas de la justice punitive française. Et l’on connaît les chiffres des classements sans suite de ces plaintes.

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Parler à des pair·es, se sentir compris·e, voir que d’autres vivent les mêmes expériences et conséquences du trauma que soi participe de la reconstruction. La société et les pouvoirs publics ne veulent pas vraiment nous entendre. Ces groupes devraient être systématiquement proposés par les services psy des hôpitaux ou centres de santé, ainsi que par les services de police qui accueillent nos plaintes. Ce n’est que très peu le cas.

L’association En parler accueille tous les adultes victimes d’agressions sexuelles ou viols qui souhaitent participer aux groupes de parole. Victimes dans l’enfance, au début de leur vie sexuelle ou en couple. De tous âges et de toutes catégories sociales, des femmes et des hommes. Ces personnes sont soulagées d’enfin nous trouver après avoir longtemps erré.

Je transforme mon traumatisme en expérience positive.

Nous axons notre travail sur les groupes de parole (une à deux fois par mois selon les villes), mais nous proposons aussi des randonnées, des ateliers juridiques, de sexologie, de régulation émotionnelle, d’autodéfense ou de loisirs créatifs. En parler vit quasiment exclusivement des dons, des adhésions et des projets montés par les bénévoles comme l’exposition Que portais-tu ce jour-là ?, par exemple. Nous recevons très peu de subventions et de financements publics.

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Dans chaque groupe, les participant·es cherchent quelqu’un qui va bien et qui donne l’espoir de vivre apaisé avec le traumatisme. En tant que coanimatrice, je permets cette rencontre, je garantis à chacun·e la sécurité de parler et l’assurance d’être cru·e. Je vois les visages des participant·es s’apaiser au fur et à mesure des prises de parole. Les derniers mots consistent souvent en des remerciements envers les coanimateur·rices pour avoir permis ce moment spécial.

Animer les groupes de parole continue à me réparer. Je transforme mon traumatisme en expérience positive. Je permets à des victimes de vivre plus sereinement. Cela me donne de la force et énormément d’énergie.

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