Le grand pourrissement

Eugénie Bastié, dans Le Figaro, estime que la gauche est « contre le ‘grand remplacement’ des Kanaks ». Un postulat intéressant pour ce qu’il montre des procédés par lesquels Le Figaro banalise certaines propagandes d’extrême droite.

Sébastien Fontenelle  • 21 mai 2024
Partager :
Le grand pourrissement
Près d'un barrage routier installé pour bloquer l'accès à l'entrée de Tuband, dans le quartier Motor Pool de Nouméa, le 15 mai 2024.
© Delphine Mayeur / AFP

La semaine dernière, l’éditocrate et collaboratrice du Figaro (1) Eugénie Bastié, mobilisant les ressources d’une impressionnante créativité, a confectionné pour ce journal, qui l’a publié ce 17 mai, un article racontant, comme l’expliquait son chapeau introductif, qu’« à l’occasion de la crise en Nouvelle-Calédonie, on voit des personnalités habituellement vent debout contre les positions identitaires défendre le droit du peuple kanak à ne pas être minoritaire chez soi », et concluant – c’était son titre – que « la gauche » française est donc « contre le ‘grand remplacement’ des Kanaks ».

1

Ce journal, que l’État nantit de millions d’euros d’aides, appartient comme on sait au groupe Dassault, que l’État nantit de milliards d’euros d’aides.

On pourrait, bien sûr, et à défaut d’en rire (2), ignorer l’amalgame ainsi fait entre colonisation et immigration. Mais ce folklorique postulat (3) est intéressant pour ce qu’il montre des procédés par lesquels Le Figaro – où l’éditocrate d’extrême droite Éric Zemmour, adepte assumé de la fantasmagorie complotiste et raciste du « grand remplacement », émargeait avant de se lancer pour de bon en politique – banalise et normalise certains discours et certaines propagandes.

2

Car il est tout de même un peu trop incommodant pour stimuler la rigolade.

3

Dont la profondeur égale presque celle du récent rappel, par l’éditocrate Michel Onfray, à l’antenne d’une radio appartenant au très (très) droitier groupe Bolloré (où il a des ronds de serviette), que « dans “national-socialisme”, il y a “socialisme” ».

Cette fantasmagorie selon laquelle des élites mondialisées ourdiraient « le remplacement » du « peuple français indigène » par une « ou plusieurs autres » populations d’origine étrangère et souvent musulmanes, a été popularisée par l’écrivain Renaud Camus – qui déblatère aussi contre ce qu’il appelle « la colonisation de notre pays et de l’Europe par l’immigration de masse et par l’Afrique ».

Sordide fantasme

Sous le couvert d’une démonstration qui se pare des atours de la logique et du bon sens, Eugénie Bastié, dans son article du 17 mai, valide cette double proposition : en comparant les colons installés en Kanaky et les immigré·es vivant en France, elle suggère, elle aussi, comme le fait Renaud Camus, qu’au fond la colonisation, avec son éternel cortège d’exploitation(s) et de violence(s), ne différerait nullement de la plus banale immigration. Et en suggérant que « la gauche » anticolonialiste et antiraciste – qui l’a, évidemment, toujours dénoncé pour ce qu’il était – l’adopterait pour mieux dénoncer le sort affreux fait aux Kanaks, elle valorise, à tout le moins, le sordide fantasme du « grand remplacement ».

Gageons qu’à l’extrême droite, on bat très fort des mains lorsqu’on lit de telles inepties.

Gageons qu’à l’extrême droite, chez M. Bardella – qui prétend lui aussi que « l’immigration entraîne » en France « un changement de population, inédit par sa rapidité et son ampleur », mais préfère quant à lui le baptiser « grand basculement » – comme chez M. Zemmour, on bat très fort des mains lorsqu’on lit de telles inepties.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don