Mobilisations étudiantes pour Gaza : « Un véritable tournant répressif »

Multiplication des interventions policières, fermeture des lieux d’études, annulation ou interdiction de conférences : la répression des étudiants en raison de leur mobilisation pour le peuple palestinien est devenue la seule réponse des universités.

Léa Lebastard  • 17 mai 2024 abonné·es
Mobilisations étudiantes pour Gaza : « Un véritable tournant répressif »
Un rassemblement de soutien aux Palestiniens devant Sciences Po Grenoble, le 30 avril 2024.
© JEFF PACHOUD / AFP

Le samedi 4 mai, l’Université Paris Dauphine interdisait une conférence avec la juriste franco palestinienne Rima Hassan. Le tribunal administratif a finalement demandé à l’université « de mettre fin à l’atteinte à la liberté de réunion » permettant au Comité Palestine Dauphine de maintenir la conférence. Ce n’est pas la première fois que des conférences sur la situation à Gaza sont interdites dans des universités, comme à l’Université ALLSH à Aix-en-Provence, où le 19 mars dernier, une conférence avec le militant juif antisioniste Pierre Stambul avait été annulée par la préfecture.

Salomé Hocquard, déléguée générale adjointe de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), dénonce : « Les étudiants bloquent leurs universités justement parce que le débat sur le conflit en Palestine est interdit : des conférences, des assemblées générales, des ateliers. Le blocus est notre seule solution. »

Menaces individuelles

Le 12 mars dernier, la direction de Sciences Po avait saisi le procureur de la République face aux étudiants du comité pour la Palestine qui avaient occupé un amphithéâtre dans le cadre de la journée de mobilisation européenne pour la Palestine. Encore plus récemment, la police est intervenue dans l’établissement pour évacuer l’occupation d’un campus, provoquant une indignation chez les étudiants mais aussi certains professeurs de l’école.

Les interventions policières se multiplient pour déloger les étudiants de cette école. « On s’est fait traîner par les CRS, et sortis de force », dénonce Jack, un étudiant de Sciences Po Paris. Le vendredi 3 mai, des étudiants organisaient un « sit-in pacifique » dans le hall de l’école. « Les discussions avec la direction n’ont abouti à rien, accuse Jack, même si toutes les sanctions sont suspendues, tout reste encore très flou et ils font exprès de maintenir ce flou. » Et il ajoute : « Mais les menaces individuelles continuent. » Le mardi 7 mai, au matin, ce sont deux étudiants de l’école qui ont été interpellés par la police.

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Selon certains étudiants, la pression va beaucoup plus loin. Un membre de l’administration a fait usage de plusieurs de ses comptes personnels sur les réseaux sociaux pour « espionner » les étudiants, générant chez eux un profond « sentiment d’insécurité ». La commission de déontologie de Sciences Po a été saisie de cette affaire et a jugé que cela constituait un « environnement intimidant » et « un manquement au principe de dignité au sens de l’article 1er de la charte de déontologie de Sciences Po », selon des documents officiels obtenus par Politis.

De son côté, le salarié de Sciences Po a assumé, considérant « qu’il lui appartenait de suivre les réseaux sociaux pour éviter une escalade entre étudiants, alors qu’une forte tension étudiante est apparue en relation avec le conflit au Proche-Orient ».

Des coups de pression sont faits envers des étudiants mobilisés.

É. Schmitt

Un climat de tension persistant aussi entre élève et professeur : un élève a reçu un e-mail d’une professeure lui demandant des explications en raison d’un post Instagram critiquant une conférence organisée par le Collège universitaire. « Des coups de pression sont faits envers des étudiants mobilisés, notamment parce que notre syndicat soutient cette mobilisation en cours », affirme Éléonore Schmitt, porte-parole de l’Union étudiante.

« La police ne peut entrer sans l’accord de la direction de Sciences Po. On observe un véritable tournant répressif », rapporte Salomé Hocquard de l’UNEF. Une intervention des forces de l’ordre que l’administrateur provisoire, Jean Bassères, regrette puisque « les multiples tentatives de dialogue n’ont pas permis de l’éviter. » Les étudiants se disent toujours insatisfaits des réponses apportées par la direction de l’école, et surtout par la répression policière à laquelle ils font face. « La direction de l’école a appelé les familles des grévistes de la faim alors qu’ils sont majeurs, s’indigne Jack, ils ont vu ça comme une infantilisation. D’autant que la pression policière est de plus en plus forte ».

Le lundi 6 mai, de nombreuses tensions ont eu lieu devant le campus rue Saint Guillaume, entre des étudiants qui souhaitaient rester sur place – sans empêcher les étudiants d’entrer dans l’université – et la police, qui a fait usage de boucliers avec violence.

« La police réprime les mobilisations étudiantes »

« Il y a quelques années, ce n’était absolument pas monnaie courante que les flics entrent dans les facs. Maintenant c’est la police qui réprime les mobilisations étudiantes », dénonce Salomé. Elle ajoute : « À chaque fois, la ministre en personne a invité les présidences d’universités à faire appel aux forces de l’ordre. » À Sciences Po Lille, suite au blocage de l’ESJ Lille, des étudiants des deux écoles et des universités aux alentours ont été repoussés par les forces de l’ordre. « C’est vraiment la première fois que je vois un aussi gros dispositif policier pour une mobilisation devant cette école », s’étonne Clément, étudiant de l’ESJ Lille.

Un quartier quadrillé par la police, des coups de boucliers, une utilisation de gaz lacrymogène : environ quatre-vingts étudiants ont été empêchés de se mobiliser devant Sciences Po Lille. « Nous avons voulu bloquer l’entrée de l’école, mais c’était impossible, ajoute Clément. Le directeur a assumé être en accord avec ce dispositif policier ne voulant pas que les étudiants loupent leurs partiels. »

Devant tout le monde, les agents nous insultent et sont violents avec nous en nous menaçant de rapports disciplinaires.

Hortense

Au-delà, de l’intervention des forces de l’ordre comme mesure pour lutter contre les mobilisations étudiantes, les universités utilisent d’autres méthodes dissuasives. Hortense, étudiante dans le campus de Tolbiac à Paris, en a même été victime. « Étant identifiée comme militante dans mon université, le chef de la sécurité m’a enfermée, moi et un autre étudiant, dans leur local. Le chef nous a dit de faire attention puisque nous étions dans le viseur de la direction. » Un climat de fortes tensions entre les agents de sécurité et les étudiants mobilisés dure depuis plusieurs semaines.

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Le 3 mai, des étudiants de ce campus ont décidé, une nouvelle fois, de bloquer leur université. « Une élève s’est vue être jetée sur une table, elle a encore des marques sur la joue. Devant tout le monde, les agents nous insultent et sont violents avec nous en nous menaçant de rapports disciplinaires. », accuse la jeune étudiante.

Pour l’instant, aucune sanction disciplinaire n’a été prise à l’encontre de ces étudiants par la direction. Le même jour, des professeurs de Paris 1, affiliés au syndicat Sud Éducation, ont dénoncé dans un communiqué « une administration et la sécurité en roue libre » et noté des « actes inqualifiables », survenus le 25 avril. Des directives supposément données par la présidence de l’université. Le campus de Tolbiac ne fait pas exception. L’université Paris Cité témoigne aussi d’intimidations de la part de l’administration envers ses étudiants : « On m’a menacé en me disant :On sait très bien qui vous êtes, on sait ce que vous postez, faites attention à vous‘ ».

Depuis dix ans, ils savent que les AG et les blocus permettent de mobiliser les étudiants, c’est comme ça qu’on obtient des revendications.

S. Hocquard

La porte-parole de l’Union étudiante, Éléonore Schmitt, accuse le coup : « En tant que syndicat étudiant, on est assez inquiet de la dérive à laquelle on fait face. Mais on continuera d’accompagner les étudiants face aux risques de sanctions. » Salomé Hocquard, de l’UNEF, pense que cette répression est calculée par la direction. « Depuis dix ans, ils savent que les AG et les blocus permettent de mobiliser les étudiants, c’est comme ça qu’on obtient des revendications. Et ça, ils le savent très bien. »

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Le mardi 14 mai, cinq élèves – dont trois mineurs et trois majeurs – mobilisés pour la Palestine sont arrêtés devant le lycée Maurice-Genevoix à Montrouge à la suite d’un blocus. « Les CRS ont procédé à des arrestations brutales toute la matinée, s’indigne Gwenn Thomas Alves, porte-parole de l’Union syndicale lycéenne (USL). Une jeune fille a eu sa jupe déchirée et passera devant le juge des enfants pour ‘organisation de rassemblement armé’. »

Le même jour, l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) est évacuée par la police mettant fin à son occupation par des militants pro palestiniens. Depuis le lundi, ils occupaient le campus de Condorcet « dans le calme », explique une étudiante à l’AFP, qualifiant cette évacuation d’« injuste ».

Le refus du dialogue

Certaines universités ont décidé de fermer leurs portes avant même que les mobilisations puissent débuter. « À la Sorbonne, une AG était prévue et l’université a fermé ses portes dès 8 heures du matin. À Tolbiac, des mails ont été envoyés indiquant la fermeture de la fac alors même qu’une AG était en train de se tenir, signale Éléonore de l’Union étudiante, cela empêche la mobilisation de grossir. »

Des décisions empêchant le débat sur la question palestinienne qui, pour Hortense, interviendrait dans un contexte plus large : « Les CRS sont rentrés à la Sorbonne sous l’ordre d’Attal, et quand il parle de nous comme une ‘minorité dangereuse’, c’est que le gouvernement souhaite mettre la pression aux directions de nos universités pour qu’ils nous répriment encore plus. » Le 25 avril dernier, dans une tribune du Monde, 70 présidents d’établissements supérieurs demandaient à ce que « les universités ne soient pas instrumentalisées à des fins politiques. »

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Pourtant, certaines universités ne bloquent pas le dialogue, et, au contraire, l’alimentent. « Nous aussi, on fait partie du mouvement, il n’y a pas que l’élite de la nation » ironise une étudiante appartenant au Comité Palestine de Paris 8. « Nous avons pu investir le hall aux couleurs de la Palestine et la majorité des étudiants étaient d’ailleurs très ouverts à la discussion et au débat », explique-t-elle, pour démystifier les critiques sur le blocage d’un lieu d’étude. Éléonore, de l’Union étudiante, abonde : « On remarque bien que ce sont les universités qui empêchent les débats en fermant leurs portes et la possibilité, pour tous, d’étudier. »

Le 7 mai, une manifestation était prévue dans le Quartier latin à Paris « contre les massacres à Gaza » mais aussi contre « la répression du mouvement de solidarité », selon le communiqué d’une grande partie des organisations de jeunesse.

On va leur interdire de nous réprimer en se coordonnant nationalement et internationalement. 

Face à cette répression, un seul mot d’ordre est donné : ne pas lâcher la mobilisation. Un étudiant de Paris 4, du campus de Clignancourt – aussi fermé au moment de la mobilisation de ses étudiants – déclare dans la foule, le 3 mai : « On va leur interdire de nous réprimer en se coordonnant nationalement et internationalement. » Éléonore Schmitt certifie qu’ils mettront « tout en œuvre pour que cette cause dépasse la communauté étudiante ». Ce 18 mai, de grandes manifestations sont prévues avec d’autres collectifs et des organisations syndicales et politiques, quelques jours après le 76e anniversaire de la Nakba.

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Société
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