Grève des agents périscolaires à Paris : « Nous sommes en souffrance »

Titularisation des vacataires, formations, remplacements : du 21 au 24 mai, les personnels de l’animation et les agents spécialisés des écoles maternelles (ASEM) de Paris sont en grève. Le but : obtenir de meilleures conditions de travail et une reconnaissance des métiers du périscolaire.

Léa Lebastard  • 21 mai 2024 abonné·es
Grève des agents périscolaires à Paris : « Nous sommes en souffrance »
© SÉBASTIEN BOZON / AFP

Ils y retournent. Ce mardi 21 mai, et pour trois jours, les agents du périscolaire de la ville de Paris sont en grève. Conséquence : plusieurs centaines d’écoles verront leur cantine fermée ces trois jours. En novembre, décembre et janvier, des animateurs, des responsables éducatifs et des agents spécialisés des écoles maternelles (ASEM) s’étaient déjà mobilisés pour de meilleures conditions de travail et de rémunération. Le dernier mois, « la mairie de Paris avait fait des micro-efforts, juge Nicolas Léger, cosecrétaire général du Supap-fsu, mais qui ne répondent pas aux besoins ».

« Ce n’est pas la première fois qu’on se mobilise, s’indigne le cosecrétaire, et dans le périscolaire nous assistons à une précarité historique. » Il dénonce : « Après la première mobilisation, les réponses restent insuffisantes, il n’y a pas eu d’opérations massives de titularisation des vacataires. » La contractualisation des agents vacataires est l’une des premières revendications de leur syndicat et de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), également impliqué dans le mouvement social.

« Une forme de dégradation du service public »

« Il y a environ 11 000 vacataires à la ville de Paris, en majorité travaillant pour la direction des affaires scolaires et la moitié sont réguliers et permanents, parfois même pendant dix ou quinze ans. C’est inadmissible ! » Et illégal : la vacation sert à « une tâche précise, ponctuelle et limitée à l’exécution d’actes déterminés » selon l’article 1er du décret n° 88-145 du 15 février 1988.

Outre la question des vacations, celle des rémunérations est aussi très présente. Surtout après l’incapacité de la mairie à la résoudre à l’issue des premières mobilisations. « Avec un budget aussi élevé, on estime que nous méritons plus que quelques centimes », critique Lounes Semsoum, responsable éducatif dans une école du 18e arrondissement. En 2023, « les crédits relatifs à la famille et à la petite enfance atteindront 119 millions d’euros », selon le budget des principaux investissements au service des Parisiens.

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« Il y a eu des primes pour les ASEM, les vacataires ont eu 1,71 euro en plus de l’heure (correspondant au minimum légal de rémunération, N.D.L.R.). 335 collègues ont eu une prime, mais tous les autres sont aussi dans des situations compliquées et en auraient besoin aussi ! ». Une situation inchangée après les annonces de la municipalité, également constatée par Nicolas Léger. « Il n’y a pas eu d’augmentation de rémunération pour la grande majorité des agents. C’est une forme de dégradation du service public. »

Ils demandent notamment le passage pour tous les animateurs et ASEM en catégorie B – actuellement en C – et la catégorie A, pour tous les directeurs et responsables de l’animation. Une demande de considération qu’éprouve Sophie, animatrice lecture depuis 2006 à la mairie de Paris. « On ne peut pas confier des enfants à des agents qu’on estime le moins progresser dans leur carrière ! Nous souhaitons accéder à la catégorie B tout en restant dans des missions éducatives. »

Aujourd’hui, si les agents souhaitent obtenir une évolution de carrière, leurs missions sont totalement modifiées puisqu’ils ne font plus d’animation mais du management et de l’administratif. Face à cette revendication, la mairie de Paris se défend. « Avec les réglementations en vigueur, cela me paraît difficile d’accéder à cette demande », soutient Patrick Bloche, adjoint au maire chargé de l’éducation, de la petite enfance et des familles.

Le problème de la formation

« Certains enfants passent le même temps à l’école qu’avec les agents du périscolaires notamment dans les quartiers défavorisés », explique Sophie. « Le personnel employé par la mairie est précaire et mal formé, forcément cela ne fonctionne pas. Il y a un turn-over permanent. » Un manque de formation dénoncé par les syndicats : « Nous demandons des diplômes d’État pour les animateurs. La municipalité se contente du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), explique Nicolas Léger, sauf que pour les agents en poste depuis des années ce n’est pas suffisant. » Il poursuit : « D’autant plus qu’il y a environ 45 % des animateurs avec le BAFA, alors que la norme est fixée à 80 % ! ».

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Sur le site du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, le BAFA « permet d’encadrer à titre non professionnel, de façon occasionnelle, des enfants et des adolescents en accueils collectifs de mineurs », comme des colonies de vacances ou des centres de loisirs. Nicolas Léger insiste sur un autre point : « Pendant le temps du périscolaire, les animateurs doivent s’occuper de l’hygiène des enfants en maternelle, or, ils n’ont aucune formation. C’est inadmissible ! »

Nous souffrons comme les professeurs, sauf que le périscolaire, tout le monde s’en fiche.

« Les conditions de travail ne s’améliore pas depuis 10 ans », insiste Mehdi Dehmani, responsable éducatif. Lounes Semsoum, un autre responsable éducatif parle, lui, d’une « véritable souffrance au travail ». « Nous souffrons comme les professeurs, sauf que le périscolaire, tout le monde s’en fiche », se désole-t-il. « Tous les jours, il y a au moins trois à quatre animateurs absents. Les autres sont obligés de s’occuper de groupes de trente-six à quarante élèves. C’est une véritable usine et c’est ingérable ! » Les responsables éducatifs effectuent les remplacements s’il y a des absences d’animateurs. Une situation qui peut vite devenir ingérable : « Le travail administratif est fait en dehors de nos heures de travail et moi tous les soirs je prie pour pas qu’il y ait d’absents le lendemain ».

À la rentrée prochaine, une nouvelle tâche administrative sera demandée aux responsables : l’entrée des absences sur une plateforme en ligne « Paris famille ». Un nouvel outil informatique, pour Younes, il est « complètement chronophage sans aucune rémunération en plus. C’est un scandale ! » Certains responsables, sont même obligés d’effectuer le travail administratif, sans bureau. « Une collègue travaille dans une buanderie », rapporte Mehdi Dehmani.

Équipes instables

« Certains vacataires cumule le métier d’animateur et d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) pour avoir un salaire décent, dénonce ce responsable. C’est environ 50 heures par semaine, une situation critique ! » Une dégradation des conditions de travail pour les animateurs, comme Sophie. « Les équipes sont instables et certains n’ont pas les bonnes pratiques professionnelles or c’est à nous d’assurer la sécurité des enfants. » « L’animation est un vrai métier ! Une mission de service publique pour les enfants qui sont de futurs citoyens. Ils méritent de meilleures conditions d’accueil », souhaite l’animatrice.

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Certains animateurs du 18e arrondissement qui travaillent dans des quartiers populaires souhaitent partir dans un autre arrondissement. « Les animateurs souhaitent avoir, au même titre que les enseignants, les indemnités REP et REP+ » souligne Lounes, responsable éducatif dans une école de ce quartier. Les ASEM sont elles aussi mobilisés pour de meilleures conditions de travail. La réforme de 2013 a fait évoluer le rôle des ASEM, et ces agents sont contraints d’animer de nouveaux temps d’activités périscolaires (TAP). « Même s’il y a eu une revalorisation en janvier, ces agents souhaitent avoir le choix d’encadrer ces activités », explique Mehdi Dehmani.

Devant cette grogne, Patrick Bloche « regrette que cette mobilisation ait lieu ». Pour lui, c’est « une incompréhension ». « Un mouvement social a déjà eu lieu et nous avons déjà répondu à de nombreuses revendications. On continuera le dialogue pour l’amélioration des conditions de travail, mais il n’y aura pas d’annonce à ce sujet. » En ajoutant : « Les parents ont légitimement une forme de lassitude par rapport à ces grèves. »

Pourtant, certains parents d’élèves soutiennent la mobilisation. « Nous souhaitons davantage communiquer avec les parents pour qu’ils comprennent les conditions de travail des agents périscolaire, explique Angélique, représentante de parents d’élèves dans le 12e arrondissement, et surtout les conditions d’accueil de leurs enfants. » Le 16 avril 2024, un manifeste des parents d’élèves est rendu public, avec une pétition lancée par l’école élémentaire de Picpus, récoltant plus de 700 signatures. « Nous serons présents avec quelques parents d’élèves au rassemblement des agents », indique ce parent d’élève. Un rassemblement est prévu, jeudi 23 mai à 14 heures, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris.

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