Sur la guerre en Ukraine, les gauches n’arrivent (encore) pas à s’unir

Socialistes et écologistes veulent que la France soutienne davantage militairement l’armée ukrainienne. Insoumis et communistes plaident pour la voie diplomatique. Tous n’hésitent pas à jouer l’affrontement en ce début de campagne des européennes.

Lucas Sarafian  • 1 mars 2024
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Sur la guerre en Ukraine, les gauches n’arrivent (encore) pas à s’unir
La tête de liste des Écologistes aux élections européennes de 2024, Marie Toussaint (à gauche) et le député écologiste français Julien Bayou (au centre) lors d'un rassemblement pour l'Ukraine, à l'occasion du deuxième anniversaire de l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, à Paris le 24 février 2024.
© Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Impossible de s’aligner. Sur fond de campagne pour les européennes, les gauches jouent l’affrontement. Et le sujet de la guerre en Ukraine empire la situation. Sur cette question internationale, deux camps se distinguent : ceux qui estiment que la France doit soutenir encore plus l’Ukraine par l’apport de moyens militaires et ceux qui jugent que la voie diplomatique est la seule manière de sortir de ce conflit. « Bellicistes » d’un côté, « angélistes » de l’autre.

Après l’évocation par Emmanuel Macron d’une éventuelle intervention de troupes européennes en Ukraine suite à la conférence internationale de soutien à Kyiv organisée à Paris ce 26 février, tous perçoivent une sorte d’improvisation diplomatique du chef de l’État. C’est une « inquiétante légèreté présidentielle », écrit sur X (ex-Twitter) Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste (PS), pour qui cette intervention reviendrait à faire de la France une nation cobelligérante. Pour le secrétaire national du Parti communiste (PCF), Fabien Roussel, ces propos sont « responsables d’une dangereuse escalade guerrière ».

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« Le président démontre à nouveau sa faiblesse et son inconsistance en matière de diplomatie et de géopolitique », critique la tête de liste des Écologistes pour les européennes, Marie Toussaint. Même réaction chez La France insoumise (LFI). Le triple candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon évoque, dans une note de blog, « un de ces dérapages incontrôlés qui marquent dorénavant la politique étrangère de notre pays ». Si ces condamnations sont semblables, elles cachent des désaccords profonds sur l’engagement que devrait avoir la France dans ce conflit.

Soutien militaire

D’un côté, socialistes et écologistes voudraient que la France s’engage plus franchement dans le soutien militaire à l’Ukraine. « Plutôt que d’envoyer des troupes sans coordination, nous devons envoyer des armes. On n’envoie même pas 1 % de notre PIB. Cette aide est ridicule. Il faut soutenir la résistance ukrainienne, alors que depuis deux ans, Macron tergiverse », explique Chloé Ridel, porte-parole du PS et candidate sur la liste d’alliance entre le PS et Place publique, la petite formation dirigée par la tête de liste Raphaël Glucksmann. Depuis le début du conflit, le PS demande également le renforcement des sanctions à l’égard de la Russie et l’arrêt des activités des entreprises françaises qui pourraient soutenir le Kremlin.

Les Ukrainiens ne demandent pas des troupes, mais beaucoup plus de soutien en termes de munitions.

J. Bayou

Les écolos sont dans le même ton. Pour le député Julien Bayou, « Les Ukrainiens ne demandent pas des troupes, mais beaucoup plus de soutien en termes de munitions. » L’élu souhaite que la France puisse augmenter sa production de munitions militaires pour que l’Union européenne respecte sa promesse de fournir un million d’obus avant la fin mars 2024. En plus de demander l’arrêt des importations de gaz naturel liquéfié et d’uranium enrichi russes, il défend une proposition de résolution – portée aussi par le député Renaissance Benjamin Haddad – qui appelle à confisquer les avoirs russes gelés depuis le déclenchement de la guerre et à les mobiliser au profit de l’Ukraine.

Non-alignement

De l’autre côté, insoumis et communistes refusent d’entrer dans une logique atlantiste et plaident pour la voie diplomatique coûte que coûte. « Tout le monde sait qu’il n’y aura de toute façon pas d’issue militaire à cette guerre », estime le député La France insoumise Arnaud Le Gall. Dans la formation dirigée par Manuel Bompard, on rappelle le respect de la doctrine en vigueur : deux puissances nucléaires ne devraient pas entrer en confrontation. Se revendiquant du camp de la paix et du respect du droit international, LFI imagine des clauses de sécurité mutuelle pour permettre une sortie diplomatique. Et si la formation insoumise admet qu’une aide militaire est nécessaire, elle refuse néanmoins d’entrer dans une quelconque dynamique d’escalade.

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Chez les communistes, position quasi identique. Pour Guillaume Roubaud-Quashie, membre de l’exécutif du Parti communiste, « l’envoi de troupes françaises face à la deuxième puissance du monde ne changera rien ». Le PCF rêve d’un traité de sécurité et de coopération à l’échelle continentale qui respecterait la souveraineté des peuples.

Procès en angélisme

En résumé, deux lignes s’affrontent. « Ce qui nous sépare, c’est notre analyse sur la nature du régime de Poutine. La France insoumise n’a pas compris que le régime russe était une menace. Il y a dans une partie de la gauche une forme de naïveté. La voie diplomatique, on l’a essayée. La France insoumise appelle à la paix sans dire comment la faire. Il faut donc exercer une force de dissuasion qui reste défensive », clarifie la socialiste Chloé Ridel.

Ce qui nous sépare, c’est notre analyse sur la nature du régime de Poutine.

C. Ridel

Mais les communistes et les insoumis refusent ce procès en angélisme. « On assume totalement nos divergences avec Monsieur Glucksmann sur le sujet. C’est quelqu’un qui a commencé sa carrière dans la revue Le meilleur des mondes et qui théorisait qu’il fallait absolument soutenir la guerre en Irak avant de soutenir un certain nombre de dirigeants néoconservateurs pour finalement se souvenir qu’il y avait une question sociale en Europe. Nous ne faisons pas partie des gens qui sont prêts à aller mourir jusqu’au dernier Ukrainien pour sauver l’Ukraine. On pense qu’il n’y a pas d’issue militaire à ce conflit », répond le LFI Arnaud Le Gall, jugeant le caractère belliciste des positions des socialistes et des écologistes.

Économie de guerre

De ce fait, les insoumis, qui assument le non-alignement, se voient reprocher une sorte de connivence avec le régime de Poutine. « Je ne sais pas s’il y a une gauche belliciste et une gauche pacifiste. Mais il y a au moins une gauche de responsabilité. Il faut être clairvoyant sur ce que représente Vladimir Poutine. Oui dans certaines formations, il y a une forme d’ambiguïté », juge Dylan Boutiflat, chargé des questions internationales au sein du Parti socialiste. « Il faut penser que la Russie est une menace. Il faut qu’il y ait cette prise de conscience partout », appelle Julien Bayou.

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En réponse, communistes et insoumis n’hésitent pas à rappeler les récentes déclarations de Raphaël Glucksmann. Le 19 février sur BFMTV, la tête de liste PS-Place publique, estimait qu’il était nécessaire de passer « en mode économie de guerre » avec des efforts sur des capacités de production et des contrats de long terme avec les industriels. « Économie de guerre, envoie de troupes en Ukraine… Les va-t-en guerre ont choisi l’escalade. Macron, Glucksmann… Ces irresponsables nous mettent en danger et éloignent toute issue diplomatique », pointe le député insoumis Paul Vannier.

Parler d’économie de guerre, c’est placer l’Europe sous la menace d’une guerre totale.

L. Deffontaine

« Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie. Parler d’économie de guerre, c’est placer l’Europe sous la menace d’une guerre totale », lâche Léon Deffontaine, tête de liste du Parti communiste. La campagne ne fait que commencer. Les hostilités aussi.

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