Déficit : quatre idées pour que Bruno Le Maire arrête de s’acharner sur les pauvres

Comme attendu, le déficit public explose, atteignant 5,5 % du produit intérieur brut (PIB), soit 154 milliards d’euros. Le gouvernement gesticule. En mal d’inspiration, nous lui proposons ici quatre solutions raisonnables pour réduire le déficit sans s’attaquer, comme d’habitude, aux dépenses sociales.

Pierre Jequier-Zalc  • 26 mars 2024
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Déficit : quatre idées pour que Bruno Le Maire arrête de s’acharner sur les pauvres
Bruno Le Maire, à Washington, le 7 février 2023.
© Brendan Smialowski / AFP

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, semble diriger les finances du pays avec un tableur Excel. « Où est ce que je peux rogner quelques millions ? », doit-il penser tous les matins en se rasant, voyant les dépenses publiques comme de simples chiffres dans des colonnes. C’est d’ailleurs ainsi qu’il a coupé 10 milliards d’euros de dépenses publiques prévues il y a quelques semaines, rognant sur tous les secteurs, mais essentiellement sur l’écologie. Le réchauffement climatique attendra que le déficit repasse sous les 3 %, objectif européen que la France a promis d’atteindre pour 2027. Un poil léger comme vision politique.

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Depuis l’annonce du déficit record – 5,5 % du PIB en 2023 –, le gouvernement se met donc à gesticuler, feignant la surprise. Où couper ? Les retraites, c’est déjà fait. L’assurance-chômage ? Déjà fait deux fois, mais Bruno Le Maire aime bien taper sur les chômeurs. Personne n’y comprend rien et les chômeurs, tellement esseulés et stigmatisés, n’osent pas gueuler. Pourquoi pas une troisième donc. Réponse ce mercredi soir dans le 20 heures de TF1, avec Gabriel Attal. Les collectivités locales ? Pas mal ça, c’est un peu flou. Faire attention tout de même à ne pas préciser que ce sont elles qui financent les établissements scolaires, ça pourrait énerver.

Nous préférons proposer au gouvernement plusieurs pistes réalisables et raisonnables pour aller chercher les milliards qui lui manquent.

La liste, mortifère, pourrait ainsi continuer. Toutefois, nous avons décidé ici de ne pas nous y attarder. Il est facile de prévoir qu’au fil des heures et des jours qui suivront, tous les grands médias disserteront sur les pistes du gouvernement. Les vraies, et les ballons d’essai. Toutes plus antisociales que les autres. Toutes budgétaires, sans vision politique ambitieuse. À quoi bon suivre la meute ?

Nous préférons plutôt proposer ici, au gouvernement, plusieurs pistes réalisables et raisonnables pour aller chercher les quelques milliards qui lui manquent – on parle, en gros, d’une vingtaine de milliards d’euros. Car il ne faut pas l’oublier. Un déficit, c’est quand les dépenses sont plus importantes que les recettes. Deux choix s’offrent donc à nous. Réduire les dépenses, ou augmenter les recettes.

1 – Taxer les superprofits

Il y a trois semaines, tombait cette information, ici reprise par Le Monde : « Les principaux groupes français ont réalisé 153,6 milliards d’euros de profits l’an dernier. Les dividendes, 67,8 milliards d’euros, tout comme les rachats d’actions, 30,1 milliards, atteignent des montants inégalés. »

21 jours plus tard, c’est donc le chiffre du déficit qui est publié par l’Insee. Deux chiffres records qui ne sont pas sans lien. Depuis son arrivée au pouvoir, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron se sont appliqués à détricoter la fiscalité des entreprises et des actionnaires. Baisse de l’impôt sur les sociétés à 25 % et instauration de la flat tax – l’impôt sur les revenus du capital – à 30 %. En parallèle, des dizaines de milliards d’aides publiques ont été fournies aux entreprises, un processus accentué avec la crise du covid, bien souvent sans contrepartie.

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Autant de politiques qui expliquent les profits records – les fameux superprofits – des grandes entreprises profitant des crises à répétition – pandémie, guerre en Ukraine. En taxer une partie apparaît donc comme une évidence de justice fiscale. L’ONG Oxfam évalue entre 10 et 20 milliards d’euros les recettes que pourraient rapporter une telle taxe qui, précisons-le, ne concernerait que les bénéfices « exceptionnels » des grandes entreprises.

Longtemps cette piste a été évacuée par le gouvernement. Les Français, selon plusieurs sondages, y sont pourtant largement favorables. Avec l’annonce des chiffres du déficit, plusieurs personnes au sein de la majorité commencent à défendre cette idée, comme la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Bruno Le Maire continue, lui, de s’y refuser.

2 – Réduire les aides aux entreprises

C’est le revers de la médaille de la première proposition. À défaut d’engranger plus de recettes en taxant les superprofits, le gouvernement pourrait s’attaquer aux très nombreuses aides aux entreprises. En 2019, des chercheurs lillois avaient estimé le montant total des aides aux entreprises à 157 milliards d’euros !

Près d’un tiers du budget de l’État, sans aucune exigence, aucune contrepartie ni sociales, ni environnementales. Un chiffre qui a largement augmenté avec le soutien aux entreprises pendant la crise Covid. En juillet 2023, une note de la Cour des Comptes estime à 260,4 milliards d’euros le soutien financier total aux entreprises (avec les prêts garantis et le report du paiement des cotisations sociales).

Aujourd’hui, l’État donne trois fois plus d’aides aux entreprises qu’au début du siècle.

Un « pognon de dingue » qui interroge. Ce soutien massif est-il efficace économiquement ? Le gouvernement met souvent en avant l’impact sur l’emploi que de telles mesures auraient. Si le chômage a bien baissé un temps, il repart à la hausse depuis plusieurs mois. Surtout, plusieurs aides, comme le crédit impôt compétitivité recherche (CICE) – désormais pérennisé en baisse de cotisations sociales – ou le crédit d’impôt recherche (CIR) n’ont pas eu les effets économiques escomptés, selon France Stratégie, organisme rattaché à Matignon en charge de l’analyse des politiques économiques.

Au vu de ce bilan bien contrasté, réduire ces aides, notamment pour les grandes entreprises, pourrait permettre de réduire les dépenses de l’État d’a minima plusieurs milliards d’euros. Aujourd’hui, ce dernier donne trois fois plus d’aides aux entreprises qu’au début du siècle. Interroger les effets de cette politique paraît donc, plus que jamais, nécessaire.

3 – Taxer les ultrariches

C’est un serpent de mer depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017. Très rapidement, le président de la République a, en effet, décidé de supprimer l’impôt sur la fortune (ISF). Une mesure qui a marqué son mandat du sceau du « président des riches ».

Pourtant, il faut le reconnaître : l’ISF était mal faite, et permettait aux plus grandes fortunes de s’en exonérer. Faut-il, pour autant, abandonner l’idée de taxer les plus riches ? Loin de là répond l’économiste français Gabriel Zucman, auquel a été décernée la prestigieuse médaille Clark pour ses travaux sur les inégalités et l’évasion fiscale.

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« Un système fiscal moderne et progressif comporte trois ingrédients indispensables et complémentaires : un impôt sur le revenu, un impôt sur les sociétés (intégré à l’impôt sur le revenu) et un impôt progressif sur la fortune », rappelle-t-il dans son livre Le triomphe de l’injustice (Seuil), coécrit avec Emmanuel Saez. Ainsi, une taxe progressive sur les très hauts patrimoines – Zucman parle des personnes détenant plus de 20 millions d’euros – en prenant le soin d’éviter toute niche fiscale pourrait rapporter entre 20 et 30 milliards d’euros par an.

Sur les vingt dernières années, la France est passée de 19 à 41 milliardaires.

Une mesure qui apparaît aujourd’hui nécessaire, tant les plus riches accroissent leur fortune d’année en année. Depuis 1985, la part du patrimoine des 1 % les plus aisés dans le patrimoine national a augmenté, passant de 15 à 26 %. Sur les vingt dernières années, la France est passée de 19 à 41 milliardaires (1), comme le révèle le classement des 500 plus grandes fortunes françaises publié dans Challenges.

1

Et non 141, comme écrit par erreur.

D’autant plus nécessaire que des économistes de l’Institut des politiques publiques ont démontré que les plus grandes fortunes du pays ne paient que 26 % d’impôt sur leur revenu, contre environ 50 % pour un contribuable figurant dans les 10 % les plus riches. Témoignant donc d’une dégressivité de l’impôt pour les plus riches, issues de pratiques de contournement que le gouvernement ne cherche pas particulièrement à enrayer.

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S’attaquer à ce sujet au niveau national mais, surtout, au niveau européen, comme le propose Gabriel Zucman, pourrait renflouer les caisses publiques, tout en rétablissant une forme de justice fiscale et sociale.

4 – Taxer mieux l’héritage

« En France, la part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente désormais 60 % contre 35 % au début des années 1970. Ce retour de l’héritage, extrêmement concentré, nourrit une dynamique de renforcement des inégalités patrimoniales fondées sur la naissance et dont l’ampleur est beaucoup plus élevée que les inégalités observées pour les revenus du travail. » Voici comment le Conseil d’analyse économique (CAE) introduit sa note titrée « Repenser l’héritage ».

Les économistes, auteurs de cette note, « montrent qu’une réforme élargissant l’assiette mais diminuant les taux nominaux peut réduire les droits de succession pour 99 % de la population tout en apportant un surplus de recettes fiscales substantiel permettant de financer des dépenses publiques ou de réduire les droits de succession pour les plus petits héritages ou d’autres impôts des ménages ».

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Autrement dit, en supprimant quantité d’exonérations et de niches évitant aux plus riches d’être taxés sur leur héritage, tout en taxant plus et mieux les héritages importants, cela permettrait d’augmenter de manière importante les recettes fiscales. La note évoque, pour un barème « ambitieux », des recettes supplémentaires de 19 milliards d’euros.

Bruno Le Maire reste dans un schéma vieillot et rabougri.

Autant de mesures qui apporteraient donc plusieurs milliards d’euros au budget de l’État tout en commençant, légèrement, à rétablir une sorte d’équité fiscale. Une équité qui a aujourd’hui disparu, au fil des politiques d’austérité menées depuis des années. En voulant, de nouveau, s’attaquer aux dépenses sociales pour réduire le déficit public, Bruno Le Maire reste dans ce schéma vieillot et rabougri.

Sa peur ? Voir la note de la France être dégradée par les agences de notation. Et, ainsi, les taux d’intérêt augmenter. Le sujet est aussi politiquement brûlant, tant les oppositions de tout bord se délectent de pouvoir taper sur le gouvernement de l’autoproclamé « Mozart de la finance ».

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Parti pris

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