Mort de Mohamed Bendriss : l’État devra rendre des comptes

Une vidéo accablante sur les circonstances de la mort de Mohamed Bendriss à Marseille vient d’être diffusée, cinq mois jour pour jour après le drame. Outre la question de la responsabilité des forces de l’ordre, c’est aussi celle du donneur d’ordre qui interroge : un certain Gérald Darmanin.

Pierre Jequier-Zalc  • 1 décembre 2023
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Mort de Mohamed Bendriss : l’État devra rendre des comptes
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin, au siège de l'unité tactique RAID, à Marseille le 12 septembre 2023
© Nicolas TUCAT / POOL / AFP

Apprend-on vraiment de ses erreurs ? C’est la question que tout honnête journaliste devrait se poser en regardant les images dévoilées, ce jeudi, par Libération et Mediapart. On y voit, enfin, ce qu’il s’est passé dans la nuit du 1er au 2 juillet à Marseille, lorsque Mohamed Bendriss, un jeune homme de 27 ans, s’est écroulé en arrêt cardio-respiratoire devant l’immeuble de sa mère. On y voit, surtout, des agents du RAID tirer à vue et à répétition, aux LBD et aux bean bags (des petits sacs de toiles remplis de billes de plomb) sur une personne à scooter ne présentant aucun danger.

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Il aura donc fallu attendre cinq mois pour avoir une vision précise de ce qu’il s’est passé au cours de cette nuit de révolte marseillaise, quatre jours après la mort de Nahel, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle de police à Nanterre (Hauts-de-Seine). Pour le jeune Nanterrien, quelques heures avaient suffi pour mettre à mal la version préfectorale grâce à la diffusion d’une vidéo accablante, dont on se rappelle tous.

C’est d’ailleurs ces images qui avaient produit un tel émoi, dévoilant les mensonges éhontés de la version policière, embrasant les quartiers populaires de tout l’hexagone. De nombreux médias, à l’époque, avaient fait leur mea culpa, promettant de ne plus suivre les yeux fermés ces versions à sens unique, sans contradictoire. Cela aura donc duré quatre jours. Car qui – hormis quelques médias de la presse écrite – s’est vraiment intéressé à cette nuit du 1er au 2 juillet, rue de Rome, à Marseille ? Qui, aujourd’hui, interroge la responsabilité du gouvernement dans la mort de cet homme de 27 ans ? Pourtant, face aux images dévoilées ce jeudi, il en va d’une obligation déontologique.

Si la responsabilité des agents se pose évidemment, celle du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, apparaît donc encore plus criante.

Reprenons. Mohamed Bendriss meurt dans la nuit du 1er au 2 juillet. Aujourd’hui, on sait qu’il s’est fait tirer dessus presque à bout portant au moins à cinq reprises par des agents du RAID, abrités dans un véhicule blindé, aux LBD et aux bean bags. Selon les images, il circulait en scooter sans représenter aucun danger. Sur le blindé, le policier du raid utilise un lanceur multi-coups fournis avec des munitions de LBD. Cette arme, utilisée habituellement pour tirer des grenades lacrymogènes en cloche, n’est pas équipé d’un viseur précis comme sur les LBD courants. En plus d’un manque complet de précision, l’arme est interdite pour des tirs directs de type LBD en maintien de l’ordre et en violences urbaines chez les CRS qui sont les seuls policiers « lambda » – hors unités d’élite – a en être équipés.

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Cette mort, on ne l’apprendra que 72 heures plus tard, grâce au quotidien local La Marseillaise. Invraisemblable, quand on connaît la rapidité des parquets pour communiquer sur les faits divers auprès des grandes rédactions. Mais là, silence radio. L’argument, sans doute : ne pas mettre de l’huile sur les flammes d’un pays en plein embrasement. La réalité : ne pas interroger, surtout, la responsabilité du gouvernement, et singulièrement celle du ministère de l’Intérieur, dans la réponse apportée à ces révoltes.

C’est ce qui saute aux yeux lors du visionnage de cette vidéo. Que vient faire une colonne du RAID – unité d’élite formée à l’antiterrorisme et au grand banditisme – en plein milieu du centre-ville marseillais pour des missions de maintien de l’ordre et de violences urbaines ? La réponse est simple. Envoyer les unités d’élite, RAID et BRI, a été la seule réponse gouvernementale à ces révoltes populaires. Aujourd’hui, les conséquences de ce choix purement répressif sont terribles. La mort d’un jeune homme de 27 ans, tué par des agents sans aucun discernement, non-habitué à ce genre d’intervention. Suite à cela, trois policiers du RAID ont été mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Ils restent présumés innocent.

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Si la responsabilité des agents se pose évidemment, celle du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, apparaît donc encore plus criante. C’est lui qui a directement décidé d’envoyer ces unités d’élite pour intimider et impressionner. Montrer les bras, réprimer. Une doctrine que le locataire de place Beauvau maîtrise à la perfection. Mais quand devra-t-il, enfin, rendre des comptes ?



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