La marche contre l’antisémitisme vire à la crise de nerfs pour la Macronie

« Zéro organisation, c’est le bordel… » L’initiative de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher ce dimanche a pris de court la majorité présidentielle, surtout depuis que Marine Le Pen et Éric Zemmour ont annoncé leur présence.

Nils Wilcke  • 9 novembre 2023
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La marche contre l’antisémitisme vire à la crise de nerfs pour la Macronie
Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet lors des cérémonies du 78e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, à Paris le 8 mai 2023.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Officiellement, l’organisation dimanche 12 novembre de la « grande marche pour la République et contre l’antisémitisme n’a rien de compliqué », dixit l’entourage de Yaël Braun-Pivet à Politis. En coulisses, l’initiative de la présidente de l’Assemblée avec son homologue du Sénat, Gérard Larcher, se heurte à « quelques difficultés techniques et politiques », euphémise un parlementaire de la majorité.

Sur le plan légal, pas de problème : « Une marche initiée par les second, troisième (Élisabeth Borne sera de la partie) et quatrième personnages de l’État, ce n’est pas un rassemblement de zadistes », ricane une source du ministère de l’Intérieur. Il est vrai que le pouvoir s’est davantage illustré dans la répression des mouvements sociaux, des gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites, que dans l’organisation de grands rassemblements depuis la grande marche de François Hollande au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015.

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Sur le plan protocolaire, là encore, les usages laissent peu de place à l’improvisation : le cortège de tête comprendra la Première ministre, les anciens présidents de la République (Nicolas Sarkozy a annoncé sa présence), les anciens Premiers ministres (tels Manuel Valls) et les représentants des cultes.

C’est une décision totalement impulsive de Yaël, elle n’en a parlé à personne avant de l’annoncer.

Une députée macroniste

Les choses se corsent pour le reste des participants : « Zéro coordination, c’est le bordel. Organiser une manif, ça ne s’improvise pas », peste un cadre de la majorité, qui observe une certaine confusion sur les boucles de l’application Telegram des élus Renaissance. En témoigne le malaise autour de la présence du Rassemblement national et de Reconquête, Marine Le Pen, Jordan Bardella et Éric Zemmour ayant annoncé leur présence. L’initiative divise, une fois de plus, la Nupes : le PS, les écologistes et les communistes marcheront mais réclament la mise en place « d’un cordon sanitaire républicain » pour ne pas se mêler à l’extrême-droite. LFI refuse de participer, Jean-Luc Mélenchon dénonçant sur X (ex-Twitter) un « rendez-vous » des « amis du soutien inconditionnel au massacre ».

L’embarras a gagné les rangs des macronistes : Stéphane Séjourné, le patron de Renaissance, fait savoir qu’il sera « présent » mais sans défiler « derrière la même banderole que le Rassemblement national ». « C’est une décision totalement impulsive de Yaël, elle n’en a parlé à personne avant de l’annoncer », fulmine une éminente députée macroniste, qui a appris l’information dans la presse. Les parlementaires n’ont pas non plus été prévenus à l’avance en réunion de groupe, selon nos informations. « J’ai appris la nouvelle à la télévision, c’est dire », ajoute notre source.

Le chef de l’État ne veut pas apparaître comme pro-israélien et anti-arabe, il doit garantir l’unité.

Un proche de Macron

Ni une, ni deux, Yaël Braun-Pivet a assuré qu’elle et Gérard Larcher « ne défileront pas à côté » du RN ou de Reconquête. « Ce n’est pas un rassemblement politique, ce n’est pas un meeting », a déclaré la présidente de l’Assemblée sur TF1, appelant à ne « pas salir le message » de cette marche « avec des polémiques stériles ». « Il aurait fallu laisser la main aux partis politiques, critique un autre élu macroniste. Cela aurait permis d’écarter l’extrême-droite. » En filigrane plane le soupçon d’une opération de communication au service de la présidente de l’Assemblée, à l’image de son voyage express en Israël très décrié après le massacre du 7 octobre.

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Résultat, la majorité cafouille, à l’image d’Emmanuel Macron. Ira, ira pas ? Le président hésite sur son éventuelle participation, malgré les appels du pied du Crif et quand bien même il a donné son feu vert à l’opération. « Le chef de l’État ne veut pas apparaître comme pro-israélien et anti-arabe, il doit garantir l’unité », souffle l’un de ses proches à Politis. Le président redoute par dessus tout l’importation du conflit entre Israël et le Hamas en France. Il l’a redit lors d’un dîner à l’Élysée mardi soir avec des cadres de la majorité. Il n’empêche, l’Élysée a fait de la place dans l’agenda présidentiel ce dimanche, selon nos informations. Le président pourrait intervenir à la télévision, même si rien n’était encore calé au moment où nous publions cet article.

« Organiser une manifestation, cela demande de la rigueur »

Même impression de flottement au gouvernement. Relancé par les journalistes après le Conseil des ministre mercredi, Olivier Véran a fini par lâcher que « chaque ministre prendrait sa décision ». « On passe pour des amateurs », déplore un parlementaire de la majorité. « Organiser une manifestation, cela demande de la rigueur et surtout une vraie mobilisation autour d’un objectif commun », observe non sans ironie une collaboratrice parlementaire de la CGT-CP.

Le syndicat a lui-même lancé mardi 7 novembre un rassemblement pour alerter les élus et le public sur les conditions de travail indignes des collaborateurs et assistants parlementaires. La présidente de l’Assemblée est passée sans s’arrêter devant le piquet de grève, raillant l’aspect « scolaire » des manifestants, selon des participants. Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher pourraient s’en inspirer pour mettre de l’ordre dans leur propre manifestation ce dimanche…

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