Brésil : Lula dans l’impasse

Élu de justesse et de nouveau à la tête du Brésil fin 2022, Lula savait que rien ne serait facile pour lui. La réactivation de l’examen d’une proposition de loi rédigée sous Bolsonaro, visant les droits des peuples autochtones, le lui rappelle brutalement.

Patrick Piro  • 7 juin 2023
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Brésil : Lula dans l’impasse
Le président brésilien Lula à Madrid, le 25 avril 2023.
© PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Rien ne serait facile pour Lula : c’était écrit dès son élection de justesse à la présidence du Brésil, en octobre dernier. Surtout en raison de la composition du Parlement, nettement dominé par la droite et l’extrême droite. Cependant, ses partisans gardaient confiance dans la science de ce magicien du compromis politique. Et l’actualité, ces premiers mois de mandat, lui a offert l’opportunité de surfer sur la « débolsonarisation » du pays et la sauvegarde de ses institutions, entre la cascade de révélations sur les malversations de l’ancien président d’extrême droite et les conséquences judiciaires du pitoyable assaut de ses partisans contre les lieux de pouvoir de Brasília, le 8 janvier.

Mais voilà, la réalité politique a fini par reprendre ses droits, et de manière brutale. Fin mai, les député·es d’opposition ont réactivé l’examen d’une proposition de loi (PL 490) rédigée sous Bolsonaro, qui vise le cœur des droits des peuples autochtones. Alors que la Constitution accorde à ces derniers la possession des terres dont ils peuvent prouver l’occupation historique, l’agro-industrie et l’exploitation minière, entre autres, veulent depuis des années que cette disposition ne s’applique que pour les sites où était effectivement installée une de ces communautés au 5 octobre 1988, date de promulgation de la Constitution.

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Cette interprétation très restrictive, dite thèse du marco temporal (seuil temporel), fait table rase des innombrables violences et spoliations subies auparavant par les peuples autochtones, et complique considérablement la démarcation de leurs territoires, préliminaire à leur homologation – démarcation à ce jour très incomplète tant les conflits et les contestations ont entravé le processus depuis trente-cinq ans. La PL 490 veut graver cette thèse dans la loi et, de surcroît, autoriser l’exploitation économique de ces territoires si « l’utilité nationale », concept très malléable, le justifie. Il ne sera pas nécessaire d’obtenir l’aval des communautés installées, en contravention avec la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail.

L’acceptation légale du seuil temporel serait considérée comme un recul civilisationnel.

Le 30 mai, la PL 490 a été adoptée par 283 voix contre 155, mesure de l’étroitesse extrême des marges de Lula. Au sein même de son alliance gouvernementale, les positions pro-autochtones qu’il défend sont minoritaires. Certes, la PL 490 risque in fine d’être rejetée, au Sénat probablement et surtout au Tribunal suprême fédéral (STF), car le texte est délibérément anticonstitutionnel. Son examen à cette date visait d’ailleurs à faire pression sur les magistrats : le 7 juin, ils reprennent le cours d’un procès où les demandeurs exigent de la communauté Xokleng (État de Santa Catarina) qu’elle rétrocède une partie des terres qu’elle occupe sous l’argument du seuil temporel. L’affaire est remontée jusqu’à l’échelon ultime du STF, qui a décidé que son jugement vaudrait alors jurisprudence pour tous les cas similaires du Brésil. Et donc qu’il validerait, ou invaliderait, la thèse controversée.

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Pour les défenseur·es des droits autochtones et de la nature, notamment en Amazonie, l’acceptation légale du seuil temporel serait considérée comme un recul civilisationnel. Mais quand bien même le STF leur donnerait raison en le rejetant, la mandature risque d’être marquée par d’incessantes négociations sur ce terrain emblématique. Lula vient d’arracher aux député·es la validation de l’architecture de ses ministères, mais au prix du dépouillement d’importantes prérogatives pour deux de leurs charismatiques titulaires, l’écologiste Marina Silva (Environnement) et la dirigeante indigène Sonia Guajajara (Peuples autochtones), qui perd la main sur… la démarcation des territoires autochtones.

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