À Mayotte, l’école est un sanctuaire

Professeur d’histoire-géographie dans un lycée de Mayotte, Arnaud décrit des conditions d’enseignement dégradées par un climat de violences et le manque de moyens. 

Politis  • 3 mai 2023
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À Mayotte, l’école est un sanctuaire
© Tamarcus Brown / Unsplash.

Professeur d’histoire-géographie dans un lycée de Mayotte, Arnaud décrit des conditions d’enseignement dégradées par un climat de violences et le manque de moyens. Malgré la précarité qui touche une majorité des élèves, ceux-ci font preuve de détermination et de motivation. L’opération « Wuambushu » lui fait craindre une déscolarisation accrue des plus démunis.


« Monsieur, pourquoi êtes-vous venu à Mayotte ? Vous allez vite vouloir partir ! » me disait un élève au début de mon premier cours en lycée à Mayotte. Fin septembre 2022, j’arrivais sur l’île tout en sachant que les conditions pouvaient ne pas être faciles. Généralement, ce sont les avis négatifs d’un lieu qui ressortent le plus et coulent à flots sur les forums d’expatrié·es. En cette fin d’année scolaire, je pense avoir compris son interrogation et surtout pourquoi je désire rester.

Comme dans la plupart des établissements de l’île, les élèves de mon lycée sont nombreux : environ 2 000 pour un bâtiment conçu pour en accueillir 1 600. Ce nombre s’explique par la forte croissance démographique de Mayotte, mais également par le manque de structures scolaires. Nous accueillons des BTS, des bac pro, des bac généraux et des CAP dans un bâtiment qui était à l’origine un collège. Ainsi, les classes sont souvent pleines à craquer et composées régulièrement d’une trentaine individus.

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J’ai pour ma part 180 élèves et ces effectifs rendent difficile le suivi personnalisé. Ce lycée n’est pas un cas à part mais bel et bien la réalité de la plupart des établissements scolaires mahorais, du primaire au secondaire, sur une île encore en développement. Selon les endroits, les salles sont plus ou moins équipées et il n’est pas rare d’entendre des collègues extérieurs parler d’absence d’ordinateur, de tableau, de bureau… Par ailleurs, le matériel, quand il est là, souffre des conditions climatiques et d’un suivi à géométrie variable.

Relativement calme en début d’année, mon établissement est néanmoins à l’image de la violence banalisée dans le milieu scolaire mahorais. Un conflit entre deux camps villageois a connu une escalade pendant trois semaines en avril, avec une attaque finale massive à la machette, au marteau et à la chaîne. Ici, certains jeunes appartiennent à des clans et jouent avec un système d’alliances lorsqu’il s’agit d’attaques ou de représailles.

Le développement de l’île, la crise migratoire et la pauvreté n’arrangent pas les conditions d’enseignement.

Contrairement aux idées construites par la population, les assaillants du lycée étaient bien français, parfois mêmes élèves, et les attaques sont toujours ciblées contre le village ennemi. La violence dans le milieu scolaire est un fléau qui ne fait qu’aggraver les conditions de travail des élèves et du personnel.

Le développement de l’île, la crise migratoire et la pauvreté n’arrangent pas les conditions d’enseignement. 70 % de la population mahoraise se situe en dessous du seuil de pauvreté et 40 % est en situation irrégulière sur le territoire. Cette précarité est ressentie tous les jours dans les établissements scolaires de Mayotte. L’absence de cantine dans le mien accentue les inégalités entre les élèves qui peuvent se permettre de manger à l’extérieur et ceux qui ne le peuvent pas.

La logistique des transports scolaires oblige une grande partie d’entre eux à se lever vers 4 heures du matin, ce qui provoque un gros état de fatigue dans la journée. L’accès à Internet n’est pas une évidence et beaucoup d’élèves sont dans l’incapacité de vérifier leurs mails ou leurs devoirs le soir. Les travaux à la maison deviennent compliqués et nécessitent des adaptations. À côté de cela, la langue est également un frein dans l’éducation : beaucoup d’élèves parlent le shibushi ou le shimahorais avant de parler le français.

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Ces paramètres contraignants de l’enseignement à Mayotte peuvent provoquer le départ précipité de beaucoup de collègues. Le salaire est plus élevé qu’en métropole mais ne parvient pas à maintenir les enseignants sur le long terme. Alors pourquoi rester ? On ne peut pas nier la détermination et la motivation à toute épreuve de nos élèves. Les difficultés de la langue, de compréhension ou de transport ne les empêchent pas d’être assidus et de vouloir réellement progresser.

L’école constitue un véritable tremplin pour un grand nombre de jeunes Mahorais ou Comoriens.

L’école à Mayotte est un sanctuaire qu’il faut préserver, nourrir et construire. Elle constitue un véritable tremplin pour un grand nombre de jeunes Mahorais ou Comoriens issus de l’immigration. À l’heure où j’écris ces lignes, l’opération « Wuambushu » a démarré depuis bientôt une semaine mais les décasages ont encore eu très peu de conséquences sur la région de l’île où je vis. Il y a des incertitudes, des inquiétudes sur le déroulé des opérations et nous ne pouvons rien prédire. Je sais néanmoins que des élèves manqueront à l’appel à la rentrée de mai.

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