« La gauche ne peut pas être dynamique en se tirant dans les pattes »

Roger Martelli, historien du communisme, analyse l’état du PCF au lendemain du congrès à Marseille et des déclarations chocs de Fabien Roussel.

Lily Chavance  • 14 avril 2023
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« La gauche ne peut pas être dynamique en se tirant dans les pattes »
Fabien Roussel au meeting de la Nupes contre la réforme des retraites, à Paris le 17 janvier 2023.
© Michel Soudais.

Du 7 au 9 avril se tenait le 39e congrès du Parti communiste français (PCF) à Marseille. Le secrétaire national sortant, Fabien Roussel, a été largement reconduit à la tête du parti. Pour autant, ses dernières interventions font dissensus à gauche. Une prise de distance avec la Nupes et une nouvelle stratégie semblent se dessiner. Le communiste prône, souvent par des formulations qui étonnent, un changement de cap. Il réaffirme haut et fort sa différence et sa volonté d’indépendance, deux fondamentaux historiques du parti, oubliés.

Dans cet entretien, Roger Martelli, historien du communisme et auteur de Le PCF, une énigme française en 2020, livre une analyse de l’avenir du PCF au sein de la gauche.

« Je ne sais pas si la stratégie de Fabien Roussel est de faire éclater la Nupes ou de la quitter, en tout cas je ne le souhaite pas. » (Photo : Lily Chavance.)

Quels sont les principaux enseignements du congrès du Parti communiste qui s’est déroulé du 7 au 9 avril ?

Roger Martelli : Ils sont relativement simples. Fabien Roussel a réussi un pari compliqué. Il est arrivé à la tête de ce parti par surprise en 2018 et, incontestablement, a consolidé ses positions. La ligne politique qu’il avait définie a reçu l’assentiment de plus de 8 militants communistes sur 10 qui se sont exprimés.

Dans quel état est le Parti communiste aujourd’hui ?

J’estime que la réalité du PC peut apparaître comme double. Fabien Roussel s’est imposé dans l’espace politique, notamment après la campagne présidentielle où il est devenu une personnalité visible. De ce fait, il a mis en lumière le PC par rapport au grand concurrent qu’est La France insoumise. Fabien Roussel se situe dans le haut du tableau des personnages disposant d’opinions favorables. Il est souvent proche de Jean-Luc Mélenchon.

Le PC reste dans une situation qui est celle d’un parti politique affaibli.

Mais il faut tenir compte du fait que l’image n’est pas le vote. Le PC reste dans une situation qui est celle d’un parti politique affaibli. Dans son implantation militante et électorale, depuis 2017, il ne décolle pas de la fourchette de 2 à 3 %. Même si 42 000 cotisants ce n’est pas ridicule dans l’espace de la gauche française, c’est toutefois 7 000 de moins que lorsque Fabien Roussel est arrivé à la tête du parti.

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Le Parti communiste a-t-il un avenir politique et peut-il retrouver une place centrale à gauche ?

Le PC se pose deux questions. La première est celle des catégories populaires, qui concerne toute la gauche. Comment peut-elle retrouver ses électeurs perdus, qui ont tendance à s’abstenir ou à se porter sur l’extrême droite ? L’autre est plus spécifique et s’attache à la place du PC au sein de la gauche dans laquelle il a perdu son hégémonie au profit de La France insoumise. Il n’est pas le seul et a du mal à le supporter. Il critique la manière dont s’exerce cette hégémonie et marque, alors, son identité par la différence.

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Aujourd’hui, le parti est persuadé que son recul politique est dû à sa perte de visibilité. Cela est lié notamment au fait qu’il n’a pas présenté de candidat, à plusieurs reprises, à l’élection présidentielle. C’est, en partie, de ce constat qu’a émergé la candidature de Fabien Roussel en 2022. L’horizon du PC est alors d’acquérir une visibilité, de travailler avec les catégories populaires et de réduire le déséquilibre avec LFI au sein de la gauche. S’il s’y prend bien, il pense pouvoir retrouver une place centrale.

Comment s’organise la stratégie du Parti communiste pour parvenir à cet objectif ?

L’expression publique, donnée notamment par Fabien Roussel, cherche plus souvent à cliver qu’à rassembler. Or l’idée selon laquelle l’identité se construit par la différence risque, à mon avis, de ne pas répondre aux exigences de rassemblement.

Aussi, cette stratégie conduit le PC, et notamment son numéro un, à des ambiguïtés redoutables. Par exemple, Fabien Roussel met souvent l’accent sur les catégories populaires absentes des métropoles qui se sentent rejetées et méprisées. Mais celles-ci ne sont pas un bloc. Elles sont diverses et éclatées. Les reconquérir doit donc se penser de manière différenciée, selon les cadres.

Pareil avec la question du travail. Lorsque Fabien Roussel dit « Je suis pour la France des salaires et pas des allocations », il marche sur un terrain de la droite, de l’extrême droite et de leur critique de « l’assistanat ». Oui, il faut mettre au centre la question de l’emploi et de sa reconnaissance. Mais en disant cela, il crée une ambiguïté.

Autre exemple : « Ils ont transformé nos frontières en passoires. » Fabien Roussel reprend ici aussi le vocabulaire de l’extrême droite. Comment l’interprétez-vous ?

Fabien Roussel veut faire « populaire », mais il le fait d’une manière qui aboutit à copier le discours de l’extrême droite.

Pour tout le monde, l’expression « frontière passoire » signifie celle que n’importe qui peut franchir. C’est-à-dire l’immigration et les individus. Ce qu’il disait, c’était que les capitalistes veulent utiliser la libre circulation pour peser sur la masse salariale en France. Mais la moindre des choses est de considérer que ce qui crée la concurrence à l’intérieur, ça n’est pas l’immigration. Fabien Roussel veut faire « populaire », mais il le fait d’une manière qui aboutit à copier le discours de l’extrême droite. Cette stratégie, loin de la faire reculer, apporte de l’eau à son moulin.

Vous dites que le temps n’est plus à la « guerre des gauches ». Est-ce que Fabien Roussel a raison de dire qu’il faut envisager un élargissement jusqu’à Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre sous François Hollande ?

Quand il dit ça, d’une certaine manière, il s’inscrit dans une tradition communiste. Il faut que la gauche soit bien à gauche, sur des valeurs d’égalité, de solidarité, de justice, avec un projet de rupture et, en même temps, il faut construire des majorités. Sauf qu’il faut bien tenir les deux bouts de la chaîne. Je considère que la gauche est polarisée, entre rupture avec l’ordre dominant – le sentiment qu’on ne peut pas gagner l’égalité à l’intérieur d’un système qui produit l’inégalité – et adaptation – en acceptant les règles pour obtenir tout de même des avancées.

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Historiquement, la question de celui qui donne le ton est primordiale. Selon qu’il s’agisse du pôle de rupture ou de celui d’accommodement, les effets sont différents. À partir de 1981, le Parti socialiste a détrôné à la tête de la gauche le PC, qui incarnait cette rupture. A l’arrivée, la gauche a peu à peu perdu son âme et elle a fini par perdre la majorité.

Une gauche vraiment de gauche ne peut pas durablement donner le ton à gauche si elle passe son temps à se tirer dans les pattes. Mais, si elle veut véritablement être utile, dans un moment où l’extrême droite avance, il faut qu’elle affirme son originalité et son esprit de rupture, tout en ayant à l’esprit de ne pas considérer que ce qui est en dehors d’elle n’a pas sa place. Oui, Bernard Cazeneuve fait partie de la gauche, comme le PS, même social-libéralisé, en faisait partie.

La gauche ne peut pas se permettre d’échouer.

La gauche dans son ensemble ne peut pas se permettre d’échouer car nous vivons le risque d’une régression sociale et politique avec une montée de l’autoritarisme. Je ne sais pas si la stratégie de Fabien Roussel est de faire éclater la Nupes ou de la quitter, en tout cas je ne le souhaite pas et je considère que pour l’instant les choses restent ouvertes.

Le Parti communiste, depuis le Front de gauche, a toujours cherché l’union. Il a perdu en influence, en perdant de nombreux bastions. N’est-il pas dans le juste en remettant en cause cette stratégie ?

J’ai du mal à m’imaginer un Parti communiste qui puisse penser son développement en dehors d’une formule de rassemblement. Toute la question est de savoir où se place le curseur du rassemblement : coté rupture ou adaptation.

D’autre part, la question est de savoir comment on fait vivre l’union que l’on a décidé de construire. Depuis 2017, la gauche ne décolle pas du petit tiers des votants. Si cette situation persiste, c’est qu’il faut améliorer les choses, donc améliorer la Nupes. Mais améliorer n’est pas abandonner.

Que nous enseigne cette distance du Parti communiste avec les autres composantes de la gauche ?

J’évoquais l’idée que les communistes sont persuadés qu’ils ont reculé car ils n’ont pas été visibles et que leur identité n’a pas été assumée. Je ne retiens pas cette lecture. Pour moi, le PC a reculé dans nos sociétés car il a cessé d’être utile. Ce qui faisait son utilité, c’est qu’il était à la fois immergé dans un milieu social et qu’il pouvait le représenter.

Pour moi, le PC a reculé dans nos sociétés car il a cessé d’être utile.

Il n’a jamais été le parti de la classe ouvrière comme il le disait mais a été un parti ouvrier et populaire. Il l’était par sa pratique, sa présence, son activité. Il l’a été aussi du fait que le communisme n’était pas seulement une activité partisane, c’était aussi une dimension syndicale, associative, culturelle, symbolique. D’autre part, ce qui faisait la force du PC, c’est qu’il donnait corps à l’espérance en s’appuyant sur le mythe soviétique. Pour des tas de raisons, cette utilité s’est trouvée affaiblie.

Malgré tout, aucune force à l’intérieur de la gauche n’est, en l’état, seule ou rassemblée, capable d’exercer pleinement ces trois fonctions fondamentales.

Pourquoi la gauche ne tire-t-elle pas profit de la mobilisation inédite et historique contre la réforme des retraites ?

Aujourd’hui la gauche s’est réinstallée au Parlement et fait entendre sa voix. C’est extrêmement positif. Sauf qu’à l’échelle du pays, il n’y a que deux projets qui apparaissent comme visibles. Celui qu’incarne la droite classique – Macron en l’occurrence, mais pas seulement – qui combine l’affirmation du libéralisme à un certain autocratisme en tournant le dos à l’exercice des libertés.

Et puis celui qui résonne dans de larges fractions de l’opinion qui consiste à dire que l’on est dans un monde dangereux qui nécessite protection. La meilleure voie serait celle de la clôture, avec l’exacerbation du cadre national et des frontières. En bref : libéralisme, autoritarisme, insertion dans la mondialisation, jeu de puissance d’un côté, angoisse, obsession de la protection et fantasme de la clôture, de l’autre.

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Je trouve que face à ces deux cohérences, la gauche a des propositions dans la lignée de ce qu’il se fait depuis le début des années 2000, avec notamment la mouvance antilibérale. Mais il n’y a pas de récit sur la manière dont on peut faire entrer ce projet d’une société d’égalité, de solidarité et de mise en commun. Dans ce débat que porte la réforme des retraites, au fond, je trouve que le projet de la gauche n’est pas suffisamment visible.

Il n’y a pas de fatalité à ce que de la crise sociale et politique sorte le pire, la poussée continue du Rassemblement national et de l’extrême droite. Mais cela nécessite une prise de conscience, de la volonté de conjuguer l’exigence de contenu et l’esprit de rassemblement. Il ne faut pas s’imaginer qu’il suffit d’attiser la colère pour que cela profite à la gauche. Pour l’instant, attiser la colère risque de profiter plutôt à l’extrême droite.

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