La guerre aux manifestants

La France connaît – ce n’est pas nouveau – un grave problème avec sa politique de maintien de l’ordre. La répression féroce suite au 49.3 ou à Sainte-Soline le week-end dernier le démontre encore. Jusqu’où ?

Olivier Doubre  • 29 mars 2023
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La guerre aux manifestants
Manifestation à Paris contre la réforme retraites, vers la rue des Boulets, le 28 mars 2023.
© Lily Chavance

Gérald Darmanin annonçait un dispositif « exceptionnel » pour la dixième manifestation, le 28 mars, avec un nombre record de policiers mobilisés. Jusqu’où le pouvoir ira-t-il dans cette surenchère ? Car il semble que, sans autre réponse politique, ce pouvoir n’ait que la matraque à proposer, multipliant les techniques pour éloigner les citoyens de la mobilisation.

Depuis le 23 mars, date de la neuvième journée de mobilisation contre celle-ci, de nombreux témoignages de violences policières s’amoncellent sur les bureaux des journalistes – et de l’IGPN. À Politis, aussi, puisque notre collègue Maxime Sirvins est parvenu notamment à identifier le policier, filmé, qui a matraqué gratuitement une jeune femme inoffensive.

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Il se trouve être déjà l’auteur d’autres faits graves de violence sur des manifestants et membre de l’escadron ultra-violent de « voltigeurs » de la Brav-M, dont une pétition rassemblant plus de 170 000 signatures à cette heure demande la dissolution sur le site de l’Assemblée nationale. De même, sur la place de l’Opéra, à l’arrivée de la neuvième manifestation parisienne, une nasse a empêché les manifestants de se disperser. Cette technique est destinée à apeurer, à dissuader les gens de venir défiler.

Combien d’autres vies sacrifiées, de mains arrachées, d’yeux crevés, de personnes mutilées ?

Mais c’est sans doute à Sainte-Soline, le 25 mars, que la violence policière a atteint des sommets. La manifestation, dans la verdure des Deux-Sèvres (79), était cette fois interdite afin d’empêcher quelques milliers de citoyens d’envahir… un trou !

Un trou censé recueillir de l’eau pompée du plus profond des nappes phréatiques (au niveau déjà alarmant en ce printemps de sécheresse), pour permettre à quelque 6 % des exploitants agricoles du coin d’irriguer leurs cultures destinées à l’agro-industrie. Bilan (provisoire) : un manifestant entre la vie et la mort, et 200 blessés.

Or, à l’heure où nous publions, ce 29 mars, nous apprenons qu’un deuxième citoyen venu manifester contre ces inutiles, vaines et aberrantes, « mégabassines » autour de Sainte-Soline se trouve « entre la vie et la mort ». Y en aura-t-il d’autres ? Combien d’autres vies sacrifiées, de mains arrachées, d’yeux crevés, de personnes mutilées, « faudra »-t-il, comme l’a dit récemment un élu de la Macronie, pour que la contre-réforme inique des retraites soit retirée ?

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La France connaît – et ce n’est pas nouveau – un grave problème avec sa politique de maintien de l’ordre. À tel point que le Conseil de l’Europe a dû le lui rappeler le 24 mars dernier par une déclaration officielle de sa commissaire aux droits de l’homme. Si la colère est montée à un tel point aujourd’hui dans le pays, avec des actes très violents que l’on ne peut que déplorer, la France est bien sous le feu des projecteurs du monde entier.

Mais il faut aujourd’hui regarder la réalité en face, de Paris à Sainte-Soline, de Rennes à Dijon : puisque, depuis des semaines, ce pouvoir n’a que faire de l’avis du peuple et, à coup de 49.3, de celui des parlementaires, la suite logique de cette attitude ne peut qu’être un blanc-seing à l’usage de la force.

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Mais on ne peut être que terrifié lorsqu’on écoute sur un réseau social l’enregistrement sonore de la manifestation en Vendée : les grenades explosent toutes les deux secondes (le ministre Darmanin a cru bon de confirmer le tir de 4 000 grenades), les blessés hurlent de douleur et leurs camarades crient, appelant à l’aide les medics, ces médecins ou infirmiers militants qui soignent les manifestants touchés dans les cortèges et dont le poste de secours a été pris pour cible par ces mêmes tirs, empêchant d’évacuer plus vite les blessés graves, dont ceux qui sont alors entre la vie et la mort.

C’est sans doute la politiste Isabelle Sommier (Paris-I), spécialiste de la « violence politique », qui a le mieux résumé la situation, sur France 5 le 27 mars : « Quand on voit de telles tensions, on ne peut pas expliquer cette crise avec 1 500 black blocs, ou des brebis galeuses parmi les forces de l’ordre ; c’est une crise de régime ! »

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