Le droit à l’aide active à mourir, un combat féministe

TRIBUNE. Monique Ladesou, déléguée du Nord de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), explique pourquoi les femmes sont en première ligne dans le combat pour une fin de vie digne.

Monique Ladesou  • 24 janvier 2023
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Le droit à l’aide active à mourir, un combat féministe
© National Cancer Institute / Unsplash

Il faut se réjouir que le magazine Politis s’intéresse au sujet de l’euthanasie (1) – qu’on nomme maintenant le plus souvent aide médicale active à mourir (AMAM) – et donne la parole à la sociologue Rose Marie Lagrave pour un point de vue vivifiant sur la mort volontaire des personnes âgées ne souffrant d’aucun mal incurable, si ce n’est la vieillesse. Un champ d’application du droit attendu, encore le plus souvent passé sous silence ou refoulé par les experts… et même parfois par les militants eux-mêmes.

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On peut parler indifféremment d’euthanasie ou suicide assisté si on s’en tient au geste et non au contexte juridique qui les opposerait. J’adopte ici l’intitulé aide médicale active à mourir (AMAM) qui me semble décrire justement un geste médical.

L’analogie entre le droit à l’IVG, obtenu par de longues luttes des femmes et le droit à une AMAM est une évidence. Les deux combats reposent sur un principe unique et universel, « mon corps m’appartient ». Ce principe devrait être au cœur de la loi à venir, avant même d’en établir les conditions d’accès, qui, décrites en termes de critères médicaux, reviendraient dans un texte de loi à donner au seul médecin le pouvoir de décider à qui ce droit s’adresse.

Aujourd’hui les Français, hommes et femmes, s’expatrient pour obtenir cette aide, comme hier les femmes pour une IVG. Rose Marie Lagrave pointe justement la communauté d’esprit des deux combats. Souvenons nous de Pierre Simon, gynécologue engagé auprès des femmes pour leurs droits à la maîtrise de leur corps, pour la contraception, l’accouchement sans douleur, l’IVG, cofondateur du planning familial et de l’ADMD en 1980.

Ce sont les femmes, qui, les premières, s’inquiètent de leur fin de vie ou de celle d’un proche.

Et si on pousse plus loin la comparaison, on peut aussi affirmer que ce droit nouveau à une mort volontaire est d’abord un combat de femmes. Ce sont elles, en effet, qui, les premières, s’inquiètent de leur fin de vie ou de celle d’un proche. Ce sont elles qui nous appellent pour connaître les conditions d’accès à ce droit en Belgique ou en Suisse, ou s’insurgent contre les conditions inhumaines de traitement d’un de leurs proches.

Elles représentent les deux tiers des appels au service Écoute de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) et 78 % des appels reçus dans notre délégation du Nord. Elles sont également majoritaires, 70 %, à s’engager dans notre association. Il faut dire que la fin de vie, elle connaissent. Elles forment le plus gros des effectifs des soignants en unités de soins palliatifs et 90 % des personnels d’EHPAD. Quant aux résidents des EHPAD, ce sont encore pour 78 % des plus de 80 ans, des résidentes.

Alors bien sûr, elles sont concernées par leur propre fin de vie. Elles savent à quoi s’attendre, on ne leur raconte plus d’histoires, elles veulent décider. Et quand elles réclament le droit à l’AMAM sans être rongées par un cancer ou enfermées dans un corps devenu inerte, sans souffrir d’autre chose que de la dégénérescence due au grand âge, c’est tout sauf une coquetterie ou un caprice de riche, que certains opposent encore aux raisons « légitimes » et donc médicales de réclamer cette aide

La vieillesse, c’est une somme de pathologies dont aucune n’est mortelle à court terme, mais qui peut transformer en enfer la vie des vieillards, et le plus souvent des vieillardes, coupées des liens sociaux qui fondent l’existence, empêchées d’agir, livrées pour le moindre geste du quotidien à un professionnel de santé,  condamnées à attendre une mort-délivrance, réduites à l’état d’objet de soins,  les plus attentionnés soient-ils.

C’est avec et par les femmes que nous obtiendrons une loi qui donnera une place centrale à la personne malade ou en situation de réclamer une aide à mourir.

On nous oppose aussi souvent le risque de voir ces personnes âgées réclamer l’aide ultime sous une pression sociale ou affective, poussées par la volonté de ne pas être une charge pour leurs proches, pour la société. Et en quoi la volonté de ne pas être une charge serait-elle moins légitime et entendable que la crainte de perdre sa dignité ou tout simplement de souffrir ? 

A-t-on souvent entendu des parents déclarer « Je me fous de ce que je coûterai à mes enfants, j’ai assez donné pour eux quand ils étaient jeunes » ? Personne ne se réjouit de devenir une charge, quand la vie s’est déjà retirée. C’est ce qu’écrivit Paul Lafargue, avant de se donner la mort en 1911 (3).

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Paul Lafargue, 1842-1911, auteur du droit à la paresse, marxiste membre du Parti socialiste français et de la première internationale ouvrière. Dans une lettre d’adieu, il écrit : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres ».

Alors, pour conclure, je souscris avec mes amies et amis à l’idée d’un manifeste féministe des 343 vieilles décidées à choisir leur mort, et des 343 médecins qui s’engagent à les y aider. Car c’est bien avec et par les femmes que nous obtiendrons une loi qui donnera une place centrale à la personne malade ou en situation de réclamer une aide à mourir.

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